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Poème d'amour Mathieu et Solène

Thierry Cabot

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23 Juillet 2019
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#1
Quelle tristesse encore ! Il gèle à pierre fendre.

Sur le pays sans voix gronde un souffle de cendre

Et les grands fleuves nus tourmentés par l'hiver

Pleurent des songes noirs dans leur lit découvert.

Au bord d'un étang glauque où plus rien ne sait vivre,

Seul, pour écho peut-être, un craquement de givre

Dont les sons frappent l'air là-bas comme un danger.

Tout à coup l'homme semble à lui-même étranger.

Mais non ; il en est un, coiffé d'écume grise,

Cheminant sous l'extrême assaut fou de la bise,

Qui, malgré le chaos, la froidure et le vent,

Porte, cachée au coeur, la flamme du vivant.

Ses limpides yeux bruns si charmeusement nobles

Ont l'éclat des vins chauds tirés de ses vignobles

Et de son habit rude à l'étoffe au grain lourd,

Emane une grandeur plus sainte que l'amour.

Après avoir souffert mille tâches, la veille,

Tout à l'heure à nouveau, Mathieu fera merveille,

Puis demain, puis toujours, quel que soit le climat,

A s'user tout autant les mains que l'estomac.

La terre, il la connaît depuis qu'au bout des plaines

Feu l'aïeul tenait haut le sceptre des Jeanlaines,

Oui celui-là pour qui le moindre aulne ou lopin

Par quelque roi dût être au moins l'idéal peint.

Partout il sent frémir, trembler l'élan d'une aile,

Partout sonner la pierre avec l'aube éternelle,

Partout renaître enfin du sol comme assoupi,

Et le germe et la fleur et la grappe et l'épi.

Ce que dit à mi-voix la colline à la source,

Ce que murmure l'ombre au faon plein de sa course,

La lumière qui saigne aux lèvres des roseaux,

Tout chez lui se fait âme ou pépiements d'oiseaux.

Et ce jour-là tandis que contre la bourrasque,

Il laisse voir à peine un infortuné masque,

Qu'en longs soupirs brumeux, l'ample morte-saison

Se charge de frimas jusque vers l'horizon,

Mathieu, les poings serrés, les chevilles tendues,

Beau face aux cris rageurs des borgnes étendues,

Rêve longtemps, longtemps à celle qui demain

Parmi les sentiers bleus, lui tiendra fort la main.

*

Maintenant qu'il contient plus que l'or de Byzance,

Qui voudrait même une heure en gommer la présence ?

Indomptable, fécond, de ses doigts adorés

L'impérieux soleil couvre d'émoi les prés.

C'est le printemps. L'azur que ne trouble aucun vide,

Croît démesurément comme un espace avide,

Et les eaux par l'effet d'un miroir diligent,

Sur elles font courir des liserés d'argent.

Ah près de lui quel choc pour notre homme à l'ouvrage !

Car du menu chemin jouxtant le pâturage,

Telle dans l'air amène une insolite fleur,

Surgit devant Mathieu la nymphe de son coeur.

La bêche qui tintait aux coins vifs de la roche

S'est déjà tue. O ciel ! le pied souple, elle approche ;

Voici qu'il la regarde, ébahi de la voir.

Un clerc n'en eût pas mieux perdu là tout savoir.

D'où vient-elle ? Sa robe où joue un peu la brise

L'enveloppe de grâce en une ronde exquise.

De ses yeux, à flots doux, extrême volupté,

S'échappent vers les siens des vagues de clarté.

Il ne la connaît point et du fond de son être

Depuis toujours il semble ô combien la connaître.

Par quelle image neuve, infiniment séduit,

Voit-il sa longue attente oubliée aujourd'hui ?

Est-ce un mirage, un leurre, une chimère, un songe ?

Ebloui jusqu'à même étreindre le mensonge,

Mathieu lève à deux mains ainsi qu'un preux féal

On ne sait quel énorme et solaire idéal.

Les champs, les bois au loin baignés de molles ondes,

A la lumière tiède offrent des larmes blondes

Et les parfums joignant leurs baisers autour d'eux

Semblables à des coeurs, s'envolent, deux à deux.

Quelque chose d'ardent habite son haleine ;

Elle lui dit sans fard : "je m'appelle Solène."

O comme dans le sein confus du paysan

S'entrouvre un arc-en-ciel et fertile et grisant !

Puis les regards, les mots deviennent plus complices ;

Le silence compose un bouquet de délices ;

Ils se sont tant frôlés, devinés qu'en ce jour

Une promesse monte en chapelet d'amour.

*

L'été règne ; le vent hume les herbes chaudes.

L'appel à vivre bout sur des lits d'émeraudes.

Que de fois l'un et l'autre, aux replis d'un bosquet,

Ont, corps à corps, fait tendre un simple nid coquet.

Maintes vignes là-haut jusqu'au flanc des collines

Gonflent leurs vaisseaux verts pleins d'ardeurs cristallines

Et les rires poudreux du soleil conquérant

Fusent parmi l'eau claire où galope un torrent.

Dès le matin, pendant que l'émoi le soulève,

Mathieu prend sa besace et promène son rêve

Des coteaux semés d'ocre aux plaines de velours

Dont les vergers tremblants explosent de fruits lourds.

Fut-il jamais soldat plus fier dans l'aube hellène ?

Il emporte avec lui l'image de Solène,

Où qu'il aille, en tout lieu, par les chemins lascifs

Qui la voient tournoyer devant ses yeux pensifs.

Admirable semeur, éternel patriarche,

Le sang du monde coule au rythme de sa marche ;

Et les Jeanlaines vont, lignée aux chiffres d'or,

Ajouter une perle à leur divin trésor...

Mais quoi ? Rien tout à coup ; ce n'est qu'une aventure

Sous le regard muet de l'aveugle nature ;

A peine un engouement chez elle passager,

A Neuille où sa grand-mère avait pu la loger ;

Ensuite la frivole au gré de ses toquades

Pour d'illusoires jeux cultivés en cascades,

Doit retrouver bientôt – perfide coup de poing ! -

Les bourdonnements creux de quelque ville au loin.

Est-il homme pourtant avec lequel on joue ?

Le malheur l'a frappé comme un coeur mis en joue.

Ni les blés, ni les fleurs, ni les suaves monts

N'auraient su même offrir du baume à ses démons...

Lorsque les premiers froids blessent les feuilles mortes,

Quand l'automne se glisse, obscur, au coin des portes,

Que les nuages noirs dans leur cortège amer,

Ecrasent le pays d'un avant-goût d'hiver,

Pareil au claquedent privé de toute enseigne,

Mathieu n'est déjà plus qu'une douleur qui saigne,

Une âme loqueteuse, un Jeanlaines perdu

Qu'un soir, près de sa ferme, on découvre pendu.

 
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#4
Un très joli texte inspiré des anciens, du coup en le lisant
on se dit qu'il y a du François - René de chateaubriand : n'est-ce pas !

Nuit de printemps


Le ciel est pur, la lune est sans nuage :

Déjà la nuit au calice des fleurs

Verse la perle et l’ambre de ses pleurs ;

Aucun zéphyr n’agite le feuillage.

Sous un berceau, tranquillement assis,

Où le lilas flotte et pend sur ma tête,

Je sens couler mes pensers rafraîchis

Dans les parfums que la nature apprête.

Des bois dont l’ombre, en ces prés blanchissants,

Avec lenteur se dessine et repose,

Deux rossignols, jaloux de leurs accents,

Vont tour à tour réveiller le printemps

Qui sommeillait sous ces touffes de rose.

Mélodieux, solitaire Ségrais,

Jusqu’à mon cœur vous portez votre paix !

Des prés aussi traversant le silence,

J’entends au loin, vers ce riant séjour,

La voix du chien qui gronde et veille autour

De l’humble toit qu’habite l’innocence.

Mais quoi ! déjà, belle nuit, je te perds !

Parmi les cieux à l’aurore entrouverts,

Phébé n’a plus que des clartés mourantes,

Et le zéphyr, en rasant le verger,

De l’orient, avec un bruit léger,

Se vient poser sur ces tiges tremblantes.

François-René de Chateaubriand,
Tableaux de la nature, 1784-1790
 
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Thierry Cabot

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#5
Merci, Arthémis, pour la mention du poème "Nuit de printemps" de Chateaubriand que je ne connaissais pas.
 
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