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Poème Qui est le père du silence ?

Peniculo

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#1
Pour vous parler du chut, ou bien du taisez-vous,
Qui pourrait être ici un sujet de nouvelle,
Convenez que rimer serait un moyen doux
Bien que la prose en soit la forme habituelle.
On connut autrefois les nouvelles en vers
Qu’à ses contes ajouta, notre grand fabuliste
N’osant me comparer à son vaste univers
Je me ferai petit, en restant optimiste.



Dès le début, le chut logiquement nous prive
D’une déclaration qui deviendrait publique
Mais rien n’interdira à une plume active
D’oser sur le propos quelque jeu poétique.
En lui obéissant j’aurais bien pu me taire,
Cependant, j’ai noirci, puisant dans l’encrier,
Un papier, qui de mots aimant bien se distraire,
Fera quelques efforts pour ne pas ennuyer.


Étais-je trop bavard étant adolescent ?
Je me souviens, qu’alors, maman me faisait taire
Pourtant je limitais mes pourquoi, mes comment,
Aux choses d’importance, évitant de déplaire.
Ainsi j’appris le chut, au son impératif,
Qui mettait en suspend mon esprit curieux
Je gardais donc pour moi sans m’en sentir fautif
Des adultes étranges les secrets sérieux.


Plus tard, l’instituteur trouvant le taisez-vous
Un peu long, s’en remit au chut autoritaire,
Je ne devais parler, en me mettant debout,
Qu’en réponse aux sujets du programme scolaire.
Respectant l’interdit, qui, bien sur, coupait tout,
J’appris, en plus des mots que la bouche utilise,
Quelques chuchoteries et leurs discrets dessous
Outils de collégien de nature insoumise.



Si, versée en l’oreille, une petite audace
Entraîne un léger chut, qui l’apaise aussitôt,
Quand l’amour apparaît, on se fait plus loquace
Le silence vaincu devient allegretto,
Car on ne dit pas chut aux messages des yeux
Qui faisant fi des mots, sont muets et précis,
Les regards échangés attentifs et soyeux
Inspirent aux conteurs de merveilleux récits.



Le monde, on le sait bien, sonnaille et carillonne,
Les échos de ses bruits faussent le jugement,
Il lui faut, par moment, cacher ce qui résonne
Le chut est un bienfait qui le met en suspend.
Même les océans rarement immobiles,
Entre flux et jusant ont droit à un repos,
La vie a ses besoins de phases plus tranquilles,
Sans silence la terre irait vers le chaos.


Le chut est naturel, il loge dans les bois,
Sur les rochers aussi quand la mer se retire,
En l’absence de son, il nous donne le choix
Entre le bruit du vent, la forêt qui soupire.
Entracte séparant les chants de la nature
Il s’en vient ponctuer sa respiration,
Et quand le bruit se tait sous la verte ramure
Il incite la faune à plus d’attention.


L’immuable silence a régné sur la terre,
Entre les bruits puissants de ses mutations.
Le mot chut serait-il cet étrange mystère
De l’homme retiré dans ses réflexions.
On dit que le théâtre engendra un beau jour
Cette onomatopée impérative et brève,
Le parterre bruyant rendait le public sourd
Pour suivre l’action, il fallait une trêve.


En quinze cent vingt neuf le mot eut son berceau
Mais il fallut compter mille huit cent vint quatre
Pour que Boiste présente un lexique nouveau
Donnant au petit mot le pouvoir de s’ébattre.
Boiste est fort peu connu mais mérite un hommage
Car Emile Littré tant que Pierre Larousse
De ses travaux savants étendirent l’ouvrage
Plantant en notre langue une admirable pousse.


Dans les mœurs ce mot court a son outrecuidance,
Coupant la question, dispensant de réponse,
Prévenant les erreurs et cachant l’ignorance,
Le chut, plus que discret, ne ment ni ne dénonce.
Parfois il manipule accordant au plus fort
Le droit de dominer en gardant la parole
Se taire n’est jamais le gage d’un accord :
Des silences passés devinrent carmagnole.



S’il devient oppressif la crainte le remplace.
Car les hommes sans mots deviennent des objets
Et quand la mutité s’obtint par la menace
L’histoire a revêtu les plus sanglants effets.
Le silence n’est bon que s’il est accepté
Le pouvoir d’imposer le rend autoritaire
Obliger à se taire ôte la liberté,
Sème des grains au champ du révolutionnaire.


Les superstitieux en firent au moyen âge
Le court remplacement de vocables maudits
Et le chut, vigoureux, enseignait au jeune âge
Que certains mots, malins, ne devaient être dits.
On sait que le copiste en certain monastère,
Qui comptait ses feuillets de ce qu’il écrivait,
A six cent soixante cinq, faisait une prière,
Et remplaçait par chut le nombre qui suivait.


Les règles du silence amènent les esprits
À comprendre le sort des humains dans le monde
Et qu’ils soient tous croyants, athées, voire érudits
Un chut peut amener quelque pensée profonde.
Cependant, sans parler, la plume peut tout dire
Et l’on trouve toujours des moyens détournés
De tracer tous les mots qu’on voulut interdire
Le discours, par l’écrit, les ayant contournés.


Poètes, musiciens, écrivent des silences,
Le chut ne devenant qu’une simple façon,
De laisser une pause accorder les cadences,
De ciseler la rime apprivoisant le son.
Que de secrets non-dits ont encré le papier
D’images s’en venant peindre l’imaginaire ;
Que de notes naissant au dessus d’un clavier
Émaillent de beautés le silence ordinaire.


Par ce mot cachant tout, les secrets prolifèrent
Et quand les sentiments restent silencieux,
Ils croissent, sans un son, ou bien se désespèrent
De n’avoir pas clamé leurs mots délicieux.
Ne rendons pas le chut plaisant ou condamnable
Il abrège souvent l’excès de nos discours
Il fait partie des arts, se fait irremplaçable
Sert aux bruits de la ville, aux rumeurs de la cour.


Il sous-entend ce qui ne pourrait pas se dire
Sans troubler ou choquer un esprit délicat ;
Le chut est paravent du terrible, du pire,
Il apaise le temps, modère le climat.
Il conquit des pays et séduisit des rois,
Éblouit des amours de reine ou de bergère,
Cacha quelques complots, dissimula des fois,
Il est aussi constant qu’il peut être éphémère.


Il est des chut exquis, même des mémorables,
Des non-dits devenant agréable moment,
Où d’inutiles bruits deviennent contestables
Et où l’on entend tout, silencieusement.
Un chut apaisera le babil d’un enfant
Le menant au sommeil dans un tendre sourire ;
Il remplace les mots d’un cœur s’extasiant
De voir que le printemps sait toujours refleurir.


Le mutisme parfois émerveille l’humain
Quand il sait écouter l’admirable nature
Quand son bonheur n’a pas la crainte du demain,
Quand l’amour du prochain forge une paix qui dure.
Car le chut anticipe un mot immodéré,
Empêche que surgisse un désaccord soudain
Il conduit les esprits au calme pondéré
Jugeant avec raison sans haine ni dédain.



Si le silence est d’or, le chut ambassadeur
Est la gemme qui vient décorer son blason,
Comment imaginer sans ce prédécesseur
Les secrets retenus ou l’absence d’un son ?
Est-ce un arrêt brutal ou un délai subtil
Que donne ce mot-clé à la pensée de l’homme
Est-ce de la parole un provisoire exil
Ou bien de la raison le sage métronome ?


Voulez vous un secret ? Il est un chut exquis
C’est celui que l’amour propose de connaître,
C’est un geste si doux qu’il n’admet pas l’oubli
C’est un bonheur gravé dont le plaisir est maître :
En évitant tout mot qui serait inutile
C’est de la femme aimée un baiser qui s’en vient
Imposer à la bouche un silence fébrile,
Instant de paradis, indissoluble lien.








 

Gabrielle

Maître poète
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