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Tiens, la dame «grimaces et bruits de ventouse» range ses crayons et ses pinceaux. On croit qu’elle a terminé mais pas du tout, la voilà qui se parfume copieusement... Et je me demande si le Monsieur à sa droite, qui maintenant sent la violette, est marié. Je l’entends expliquer à sa femme avec le désespoir de l’innocent vertueux incapable de fournir la moindre preuve :
- … Ma bichette, qu’est-ce que tu vas chercher là. Tu vas rire…
- Ah ouais vraiment !
- … c’est cette femme dans le métro, elle nous a aspergés avec son eau de toilette
- Ben voyons !
Trop tard... Ce premier soupçon est enfermé à double tour dans la boîte à reproches et la clé est définitivement suspendue dans un coin de sa mémoire. Elle l’ouvrira chaque fois qu’elle le jugera nécessaire. Et puis, ne soyez pas surpris, Monsieur, si «votre bichette» vous réclame, elle aussi, du parfum à la violette pour son prochain anniversaire.
Pourtant, Monsieur, vous aviez raison… le métro et les odeurs ne font pas bon ménage… et je m’étonne juste que cette surenchère d’émanations, qui coïncident avec la digestion de mon petit déjeuner, ne me donne pas plus de hauts le cœur.
En réalité ce qui me frappe à cette heure matinale, en raison de l’affluence, c’est le silence. Un de ces larges silences propices aux souvenirs revenus du tréfonds de l’oubli... Car, hormis la musique psychédélique échappée du baladeur d’un zombi boutonneux - ou les rares réactions de ceux qui craignent de ne pas pouvoir descendre –, on n’entend pas une mouche voler.
J’attrape une idée au vol, je la fais tourner un peu dans ma tête et je la relâche au moment où, entre Passy et Bir-Hakeim, je vois les quatre pieds de la Dame de fer chaussés de cuissardes. Elle a soulevé sa robe de brume pour cacher son visage, de sorte que je ne vois pas la rouille de la honte qui monte jusqu’à son antenne. Cette indécence m’amuse, je souris.
Je referme le livre que je n’ai pas lu en ôtant l’index qui me servait de marque-page.
- Pardon, vous descendez ?
- Je descends !
Alors, le wagon s’égrène de son chargement par tous les pores de sa carcasse ouverte. Et tandis que je consulte machinalement ma montre, j’entends une voix qui me presse :
- Excusez-moi, vous pouvez me donner l’heure ?
J’ai envie de lui dire instinctivement :
- Non, parce que si je vous la donne je n’en aurai plus !
Mais je n’ai pas l’audace de lui faire cette réponse absurde et j’ai donné l’heure à ce monsieur inquiet qui, curieusement, avait une montre accrochée au poignet...
Se peut-il que j’ai la tête d’un guichet ouvert pour qu’on vienne vers moi chaque fois qu’on a besoin d’être renseigné, même noyée au milieu de la foule, c’est encore moi qu’on sollicite. Et pourtant je n’en sais fichtrement rien, moi, «s’il y a un bureau de poste dans le coin ? Si Madame Martin, c’est bien ici ? Si c’est un 10 ou un 16 qu’on doit lire ?», qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, je suis comme tout le monde, je ne suis pas du quartier !
A suivre
Tiens, la dame «grimaces et bruits de ventouse» range ses crayons et ses pinceaux. On croit qu’elle a terminé mais pas du tout, la voilà qui se parfume copieusement... Et je me demande si le Monsieur à sa droite, qui maintenant sent la violette, est marié. Je l’entends expliquer à sa femme avec le désespoir de l’innocent vertueux incapable de fournir la moindre preuve :
- … Ma bichette, qu’est-ce que tu vas chercher là. Tu vas rire…
- Ah ouais vraiment !
- … c’est cette femme dans le métro, elle nous a aspergés avec son eau de toilette
- Ben voyons !
Trop tard... Ce premier soupçon est enfermé à double tour dans la boîte à reproches et la clé est définitivement suspendue dans un coin de sa mémoire. Elle l’ouvrira chaque fois qu’elle le jugera nécessaire. Et puis, ne soyez pas surpris, Monsieur, si «votre bichette» vous réclame, elle aussi, du parfum à la violette pour son prochain anniversaire.
Pourtant, Monsieur, vous aviez raison… le métro et les odeurs ne font pas bon ménage… et je m’étonne juste que cette surenchère d’émanations, qui coïncident avec la digestion de mon petit déjeuner, ne me donne pas plus de hauts le cœur.
Ca ne sentait pas la rose
Ni le lilas, ni l’hortensia
Mais ça sentait quelque chose
Peut-être tout à la fois
Ni le lilas, ni l’hortensia
Mais ça sentait quelque chose
Peut-être tout à la fois
En réalité ce qui me frappe à cette heure matinale, en raison de l’affluence, c’est le silence. Un de ces larges silences propices aux souvenirs revenus du tréfonds de l’oubli... Car, hormis la musique psychédélique échappée du baladeur d’un zombi boutonneux - ou les rares réactions de ceux qui craignent de ne pas pouvoir descendre –, on n’entend pas une mouche voler.
J’attrape une idée au vol, je la fais tourner un peu dans ma tête et je la relâche au moment où, entre Passy et Bir-Hakeim, je vois les quatre pieds de la Dame de fer chaussés de cuissardes. Elle a soulevé sa robe de brume pour cacher son visage, de sorte que je ne vois pas la rouille de la honte qui monte jusqu’à son antenne. Cette indécence m’amuse, je souris.
Je referme le livre que je n’ai pas lu en ôtant l’index qui me servait de marque-page.
- Pardon, vous descendez ?
- Je descends !
Alors, le wagon s’égrène de son chargement par tous les pores de sa carcasse ouverte. Et tandis que je consulte machinalement ma montre, j’entends une voix qui me presse :
- Excusez-moi, vous pouvez me donner l’heure ?
J’ai envie de lui dire instinctivement :
- Non, parce que si je vous la donne je n’en aurai plus !
Mais je n’ai pas l’audace de lui faire cette réponse absurde et j’ai donné l’heure à ce monsieur inquiet qui, curieusement, avait une montre accrochée au poignet...
Se peut-il que j’ai la tête d’un guichet ouvert pour qu’on vienne vers moi chaque fois qu’on a besoin d’être renseigné, même noyée au milieu de la foule, c’est encore moi qu’on sollicite. Et pourtant je n’en sais fichtrement rien, moi, «s’il y a un bureau de poste dans le coin ? Si Madame Martin, c’est bien ici ? Si c’est un 10 ou un 16 qu’on doit lire ?», qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, je suis comme tout le monde, je ne suis pas du quartier !
A suivre