Un matin

Ce poème n'est pas de moi, il est d'un immense poète méconnu.
J'ai découvert cette œuvre admirable en classe de Français au lycée et depuis (j'ai 58 ans) elle ne m'a jamais quitté...
Par passion, je la connais par cœur et me la récite en pensées à chacune de mes promenades.
Elle contient, à mes yeux, une telle force poétique qu'elle m'a toujours redonné le moral aux heures tristes (comme un mantra seriné) et me rend le monde plus beau (je suis persuadé que c'est le rôle initiatique des grands poètes).
Je tenais à la partager avec vous, si vous ne la connaissez pas.
Je vous engage également à lire la merveilleuse biographie de Verhaeren par Stefan Zweig.
Amicalement

Un matin
Emile Verhaeren

Dès le matin, par mes grand’routes coutumières
Qui traversent champs et vergers,
Je suis parti clair et léger,
Le corps enveloppé de vent et de lumière.
Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux ;
C’est fête et joie en ma poitrine ;
Que m’importent droits et doctrines,
Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux ;
Je marche avec l’orgueil d’aimer l’air et la terre,
D’être immense et d’être fou
Et de mêler le monde et tout
A cet enivrement de vie élémentaire.
Oh ! les pas voyageurs et clairs des anciens dieux !
Je m’enfouis dans l’herbe sombre
Où les chênes versent leurs ombres
Et je baise les fleurs sur leurs bouches de feu.
Les bras fluides et doux des rivières m’accueillent ;
Je me repose et je repars,
Avec mon guide : le hasard,
Par des sentiers sous bois dont je mâche les feuilles.
Il me semble jusqu’à ce jour n’avoir vécu
Que pour mourir et non pour vivre :
Oh ! quels tombeaux creusent les livres
Et que de fronts armés y descendent vaincus !
Dites, est-il vrai qu’hier il existât des choses,
Et que des yeux quotidiens
Aient regardé, avant les miens,
Se pavoiser les fruits et s’exalter les roses !
Pour la première fois, je vois les vents vermeils
Briller dans la mer des branchages,
Mon âme humaine n’a point d’âge ;
Tout est jeune, tout est nouveau sous le soleil.
J’aime mes yeux, mes bras, mes mains, ma chair, mon torse
Et mes cheveux amples et blonds
Et je voudrais, par mes poumons,
Boire l’espace entier pour en gonfler ma force.
Oh ! ces marches à travers bois, plaines, fossés,
Où l’être chante et pleure et crie
Et se dépense avec furie
Et s’enivre de soi ainsi qu’un insensé !

Emile Verhaeren, Les forces tumultueuses

Un prix Nobel de littérature qui pratiquait le vers libre avec un talent remarquable, comme ce poème cité par vos soins qui m'a beaucoup plu. La joie et la conscience d'exister en ce monde avec tout ce qui nous entoure jusqu'au moindre petit élément visible qui fait que l'ensemble est un tableau dans lequel on évolue, une fenêtre ouverte sur les ressentis. Merci de ce partage EricB

Merci de cette découverte !

Merci beaucoup pour votre regard: rares sont ceux qui apprécient la vie hors d'eux même, de leurs plaintes et petits tracas quotidiens !!!

L'existence est si surprenante, on est là on respire et demain tout peut se rompre.
Alors oui, il faut vivre sa vie avec passion et compassion si possible et s'émerveiller
en bon observateur de la plus petite chose, à la plus imposante aussi.
Nous ne sommes que de passage, sachons voir et entendre tout ce qui palpite et réclame.

Quelle beauté...